L'ambition

L’ambition, jouer à qui gagne perd

Depuis une trentaine d’années, l’ambition est devenue une idole incontestée de la vie en société. Il s’agit d’être la plus riche, la meilleure, le « King pin » ou le plus « liké ». Chaque idole a sa religion ; « réussir sa vie » est celle de l’ambition. Chacun est tenu de construire son mythe personnel et les rituels se rapportent aux multiples façons de « se donner à fond » pour l’atteinte des plus hauts sommets.

Pourtant, dans ces temps de prospérité, jamais autant de gens socialement bien intégrés ne se sont plaints de sentiments de perte de sens, de déprime ou d’isolement. Que se passe-t-il donc au royaume de la réussite sur terre?

Dans cette époque d’apparition de maisons pour leaders, de programmes de coaching, d’appui au leadership au féminin, il est temps de se demander quel genre de dirigeants vont favoriser des organisations à la fois saines et performantes.

Petit aparté

Il y a longtemps, j’ai participé à un atelier sur le marketing personnel. L’animatrice demandait à son auditoire : combien de fois par semaine, chacun faisait ce qu’il aimait. Selon elle, plus l’humain agissait avec plaisir et passion, dans différentes sphères de sa vie, plus son charisme personnel augmentait.

Faire des choix éclairés en société

Qui n’a pas rencontré une personne malheureuse de son emploi? Qui n’a pas déjà regretté sa candidature pour des responsabilités? Qui n’a pas été déçu par un ami nuisible? Dans toutes ces situations déplaisantes, des choix défavorables ont été faits. À l’inverse, faire l’aimé implique de bien choisir.

Au plan social, un choix bien aligné avec les préférences personnelles profondes contribue au charisme en donnant de l’énergie et en rendant plus persuasif. Par contre, un choix confus ou conditionné par des facteurs externes finit par créer des trous noirs gobeurs d’énergie. Alors, la mobilisation de la personne et celle de ses auditoires est plus difficile. Elle peut même procéder par des raccourcis éthiques.

Par exemple, j’aime faire de la voile. Sans effort, j’investis beaucoup de temps dans l’appropriation de compétences ou dans la préparation de mon embarcation. J’en parle avec cœur et enthousiasme. Par contre, je n’aime pas le golf. Lorsqu’on me fait miroiter les avantages d’une participation à une activité corporative de golf, les efforts m’apparaissent déplaisants et ma participation artificielle. Je me retrouve devant le dilemme de badiner et déranger ou de faire semblant.

Sans l’éclairage des émotions, la simple volonté risque d’éloigner une personne de ses besoins fondamentaux. En dernière analyse, c’est l’aimé, le détesté et l’indifférent qui influencent le baromètre de la réussite d’une vie.

Qualité totale partout, tout le temps

À trop vouloir briller, on peut perdre son propre faisceau de lumière. Dans un monde de logos, la « qualité totale » est devenue un projet de vie. Le nouveau Dieu réside au fond des yeux du collègue, du voisin, de l’abonné, du patron ou même du conjoint.

Il y a déjà 30 ans, Alexander Lowen rédigeait un ouvrage : « Gagner à en mourir. Une civilisation narcissique. »

En effet, trop occupé à alimenter ou à protéger l’image de soi, l’ambitieux tourne le dos à des besoins de base et, dans des cas plus sévères, à des aspects importants de la réalité.

Les conséquences négatives de cette attitude sont nombreuses : procès intérieurs, affadissement de la vie, épuisement professionnel, dépendances, conflits, relations difficiles, isolement, surconsommation, planifications inadéquates ou baisse de performance, etc. On le voit, ces problèmes sont d’ordre personnel, relationnel, organisationnel ou sociétal et la sévérité varient selon les circonstances.

Ambition ou aspiration?

Tous les humains partagent l’instinct naturel au dépassement, sans lequel le développement ne serait pas possible.

Sur le plan social, nous nommons cet instinct « aspiration » ; l’ambition en est une perversion.

L’aspiration est liée aux besoins sociaux majeurs de chacun (apprendre, s’insérer, réaliser, s’émerveiller, gagner du confort, etc.) Pour les combler, elle nécessite des choix lucides et libres. Cependant, il arrive que des fragilités ou des difficultés personnelles rendent ardus et obscurs les choix. Dans ces moments d’inconfort, les oreilles deviennent plus ouvertes pour des solutions prêtes à porter, des images rassurantes de réussite ou des pressions intéressées. « Dans le doute, abstiens-toi, » dit le proverbe. En effet, l’aspiration a parfois besoin de plus de temps pour trouver son chemin.

Quel espoir pour les leaders? 

Sénèque affirmait « qu’être heureux, c’est apprendre à choisir. » Ajoutons que cet apprentissage dure toute la vie. Le ou la leader doit continuellement cultiver sa capacité à faire de bons choix. Au moment de se mettre en déséquilibre, plusieurs questions devraient surgir. Les activités conviennent-elles vraiment à la personne ? Celle-ci accepte-t-elle les contraintes de la réalité et les besoins des autres? Se conforme-t-elle à des priorités? Respecte-t-elle ses valeurs importantes?

L’ambition étant une idole dominante, les humains « n’en meurent pas tous, mais tous en sont frappés. »

Agissant de diverses manières, il est difficile de se prémunir contre cette culture. En effet, il existe plusieurs nuances de gris entre l’ambition et l’aspiration. Par exemple, la différence entre les deux réside souvent dans les méthodes plutôt que dans le but. Les transgressions des valeurs personnelles n’ont pas toutes la même portée. Une personne peut vivre des périodes circonscrites d’ambition ou céder à cette facilité que dans certains domaines particuliers.

En conclusion, la culture de l’ambition induit des pressions sociales et un brouillard motivationnel rendant difficile la démarche réflexive des leaders. Pourtant, ces compétences de regard sur soi et d’analyses des environnements sont directement liées à la qualité de vie et à la performance sociale. C’est pourquoi, tout au long de la vie active, les leaders doivent consacrer un temps significatif à l’évaluation des choix et à l’examen de leur parcours social. À cette fin, ils bénéficient grandement de dialogues ouverts avec leurs proches, de groupes de codéveloppement, de parrainages (ou marrainages) ou de coachings.